A Kinshasa, avec ses 28 à 38 degrés permanents et son atmosphère de serre, tout pousse comme du chiendent. Pourtant, le noyau d’avocat que nous avons mis à tremper dans un verre d’eau en attendant qu’il germe nous nargue. L’air renfrogné, il pourrit obstinément sur notre balcon depuis deux semaines. Ce qui prouve au passage que, pour le jardinage, nous avons le même talent qu’un bonobo pour l’abstinence. On préférerait le contraire, mais les choses sont ce qu’elles sont.
A Kinshasa, donc, l’arbre est de rigueur. La ville en est pleine. Ils poussent sur les bords des routes et dans les jardins, ils fissurent les murs, fendent les routes ; ils envahissent la ville à leur manière lente, insidieuse et puissante. Contre cette pression végétale, l’homme se défend comme il peut. L’année dernière, d’ingénieux urbanistes kinois ont fait abattre les hauts arbres qui bordaient l’artère principale de la ville. C’est ainsi que le boulevard du 30 juin, autrefois vert et ombragé, est maintenant un ruban de goudron nu parcouru à des vitesses démentes par des monstres métalliques. Mélanie et moi ne le connaissons que comme cela et le regrettons un peu.
Et comme par hasard, le mois dernier, un arbre s’est abattu dans le quartier de Bandalungwa sur un automobiliste qui passait par là. Le pauvre en est mort (l’automobiliste). Vengeance ?
Cependant la paix règne dans les jardins. Invités il y a deux semaines à une fête organisée en extérieur, nous avons passé la soirée à quelques mètres d’un banian gigantesque. Nzambe ! qu’il était beau, haut et large ! De son tronc épais et tentaculaire partaient des branches de l’épaisseur d’une cuisse de catcheur, d’où pleuraient vers la terre des dizaines de lianes. Car les banians sont ainsi faits que ces lianes qui pendent de leurs branches, s’enracinant en terre, forment après quelque temps de nouveaux troncs. De ces fûts partent de nouvelles branches, qui projettent des lianes, qui s’enracinent en terre, et ainsi de suite. Les congolais, qui sont très forts pour nommer les choses, l’appellent en lingala Arbre qui Marche. Il y en a un, à la Société Théosophique de Madras, dont le réseau couvrait ainsi plusieurs hectares. Ce n’est pas l’arbre qui cache la forêt, c'est l'arbre-forêt. C'est prodigieux.
Ergo : les banians ont du chien. Devant celui de l’autre jour, si grand, si vieux, je me suis senti tout petit et fragile. J’ai pensé à mon grand-père, qui savait les arbres. Il aurait aimé celui-là.
Les arbres d’ici sont comme les congolais : ils en ont vu des vertes et des pas mûres. Le plus petit avocatier , pour peu qu’il ait un peu vécu, a traversé deux guerres civiles. Un manguier encore jeune a vu passer l’indépendance, trois présidents, un Mobutu. A Kinshasa, les palmiers, les banians, les arbres du voyageur ont été les témoins d’horreurs sans nom et de liesses énormes. Présences solides dans un monde instable ; pleines et honnêtes dans un monde en poupées russes ; simples au pays du compliqué, ils traversent en silence un début de siècle inquiet et douloureux.
Pour ces arbres qui entendent toute la journée parler le lingala, le même mot désigne la pluie et les années. Le temps et l’eau sont une même chose pour eux, qui s’écoule et les nourrit : mbula. Ils sont, comme l’écrivait l’ami Jules, « Arbres malgré les événements ». On ne saurait le dire mieux.
Pour ces arbres qui entendent toute la journée parler le lingala, le même mot désigne la pluie et les années. Le temps et l’eau sont une même chose pour eux, qui s’écoule et les nourrit : mbula. Ils sont, comme l’écrivait l’ami Jules, « Arbres malgré les événements ». On ne saurait le dire mieux.
Un vrai bonheur de vous lire! je crains que la situation n'ait guère changé depuis 1976 si ce n'est encore plus de grouillement qui est aussi vie... A propos d'arbre, il y avait à l'époque, près de la clinique kinoise et dans la cour du centre de formation des moniteurs de santé public, un magnifique flamboyant...
RépondreSupprimerConservez donc ce regard aigü et encore bienveillant!
Claude (un collègue d'Emanuèle)
Serre quelques troncs de ma part...
RépondreSupprimerAh le banian, arbre magique et mythique, symbole de la vie éternelle! Puisse ton imagination comme la sève du banian ne jamais se tarir et surtout, continue de nous arroser de tes chroniques!
RépondreSupprimer(..et pas de ta sève, hein, non merci)
envoie nous des graines de banian si ca existe, qu'on mette un peu d'animation dans la cour de putox
RépondreSupprimersinon, j'adore c'que vous faites