jeudi 26 août 2010

28 - Décrochage historique


















La saison sèche touche à sa fin. Ce sont trois mois de températures douces et de soleils pâles qui se terminent, sans une goutte de pluie. Pendant que vous pleurez la fin de l’été, je vois à regrets remonter le thermomètre et revenir les orages. On sent réapparaître chez le conducteur kinois l’agressivité qu’il avait perdue dans les rigueurs de juillet (20°C, hiver rude). Ca sent la rentrée.

En attendant la pluie, je me plonge dans Malet & Isaac. Pour ceux d’entre vous qui trouveraient ça dégueulasse, rassurez-vous : c’est un manuel d’histoire.

Il est écrit comme un roman, un long roman de mille deux cent pages qui couvre l’histoire de France de la fondation de l’empire romain à 1914. Pas besoin de se forcer : on le lit parce qu’il est bien rédigé, facile et parfois même émouvant, et parce qu’il donne le sentiment étonnant de découvrir son propre pays.

Je l’ouvre le matin en buvant le café, quelques pages vite lues ; je retombe dedans le soir avec plaisir. A  dévorer ainsi l'histoire, à grands pas, chaque soir et chaque matin, les échelles de temps en viennent à se brouiller. L’eau de la baignoire de Marat était rouge ce matin ; ce soir Napoléon sera au pouvoir. A minuit il gravira les Pyramides et demain, au réveil, il tombera à Waterloo. On le retrouvera probablement avant le déjeuner, assis sur une baleine, vêtu d’un caleçon effiloché, songeant à sa gloire passée. J’espère que les auteurs ne me décevront pas sur ce point.

Par ricochet, j’ai commencé à me demander ce qu’on connaissait de l’histoire congolaise, avant les Belges. A ce qu’il semble, la région a abrité de grands royaumes aux noms charismatiques, les Kongo, les Kuba, les Luba, l’empire Lunda. On n’en sait pas grand-chose de certain, car la tradition orale confond volontiers l’histoire avec le conte… mais je n’ai pas encore été bien loin dans le sujet. Un collègue va me prêter son livre d’histoire de lycée. Je vous raconterai ce qu’il y a dedans.

Pour l’heure, assis sur le balcon, j’avance doucement vers 1914 en prenant mon goûter. Depuis notre deuxième étage surplombant la Gombe, je vois trois mille ans s’étaler à mes pieds. Au loin Rome brûle et Constantinople rayonne, les épées brillent, les rois meurent, les nations naissent, les grands hommes passent et les petits disparaissent. On entend vaguement tonner au loin les canons de Trafalgar. Je me refais une tartine. L’histoire a goût de Nutella.

vendredi 13 août 2010

27 - Avec Jacques B.
















Il faut que je vous avoue quelque chose. Avec Mélanie, on prend des cours de danse africaine.

Les raisons qui nous y ont poussé sont simples : nous sommes en Afrique. Nous habitons un pays qui danse comme il respire. Dans les soirées, dans les boîtes, même aux excursions organisées par le boulot, tout le monde danse. Très bien. Tout seuls sur le bord de la piste, les quelques timides qui bougent la tête en cadence ont l’air de s’ennuyer un peu. Ils font peine à voir.

Alors, nous nous sommes laissé convaincre d’essayer.

Notre professeur est un chorégraphe originaire du Bandundu. Il s’appelle Jacques Bana Yanga. Un visage sérieux, taillé à la machette, percé de deux yeux noirs animés ; un corps parfaitement dessiné, un petit brillant de pacotille à l’oreille gauche, un parler confus, presque timide, une grande gentillesse. Le voir danser est un plaisir dont je ne me lasse pas. Il a des gestes étonnamment précis, épurés, qui contrastent avec la fantaisie baroque de la plupart des danses d’ici. On sent dans ses mouvements une résolution puissante et maîtrisée, une énergie énorme qu’il bride et débride à volonté.

Il s’est construit au Congo une petite célébrité. Il a voyagé un peu partout en Afrique pour y étudier les danses locales, travaillé avec des chorégraphes et danseurs européens, roulé sa bosse en France et en Belgique. Dans les spectacles qu’il monte avec sa compagnie, il mélange avec bonheur les influences diverses qu’il a tirées de ses voyages, en les assortissant d’éléments empruntés à la danse contemporaine (ce qui, au passage, peut être risqué : l’autre jour, sur la scène du centre culturel français, j’ai vu un type couvert de farine se rouler en silence dans un tas de feuilles mortes pendant plus de quarante-cinq minutes. C’était horrible).

Avec Jacques et deux ou trois autres élèves, nous nous retrouvons le samedi dans une salle moquettée de l’école américaine. Il y répète pour nous les gestes des sorciers du Kasaï, des mamans du Kivu, des fêtes de village de l’Equateur. Il nous donne ses instructions d’une voix un peu étouffée, un mot à la fois : « Bouger », « Changer », « Tout », « Droite », « Maintenant boire ». Parfois aussi, lorsque son copain Papy-le-tam-tam est absent, il scande les percussions tout en dansant. Derrière lui, dégoulinant de sueur, les cuisses en flammes, je roule du cul tant bien que mal en essayant de suivre ses mots et ses gestes. Pied gauche - les épaules comme ça - le bras en avant - rrRRrakatatam - rotation du bassin - zégé- HOP ! - pied droit - main gauche - ah non merde - pas celle là - perdu le rythme - on reprend.

C’est l’enfer. Je me heurte à des blocages tenaces, à une pudeur bête d’élève ingénieur effarouché. Qu’importe ! On progresse. On voyage. On danse le guépard, le guerrier, l’éléphant, même le poulet. On s’y oublie quelques instants. On en caquetterait presque de joie.

Car danser, finalement, c’est un peu comme l’eau de la Bretagne Nord au mois de juin : elle est bonne, une fois qu'on y est.

dimanche 8 août 2010

26 bis - Interlude

Semaine chargée, week-end aussi, je n'ai pas eu le temps de poster cette fois-ci. En attendant la prochaine, deux images du Bas-Congo (cliquez dessus pour les voir en grand).