vendredi 21 mai 2010

16 - A l'Île aux Moines



A Kinshasa tout est exagéré. La ville n’en finit pas ; ses rues défoncées s’étendent sur des kilomètres ; seul le flot immense du Congo l’arrête net au long de ses berges sales. C’est la capitale démesurée d’un pays gargantuesque. Les fleuves y sont des mers et les forêts des continents. Les orages y tonnent comme au jugement dernier, les pluies inondent les rues et emportent les gens. Les pauvres s’y habillent comme des princes et les pasteurs comme des empereurs. Et son peuple pacifique, souriant, ouvert, mélomane, brûle de temps en temps un pauvre type pour son petit déjeuner. Mais je quitte le Congo pour le temps des vacances, et le Golfe du Morbihan m’accueille dans ses bras verts et bleus, et tout ce qui me dépassait là-bas me parle ici et me rassure.

Tout tient dans ce nom breton, Morbihan, Petite Mer. C’est une grande piscine qui se vide et se remplit, chaque jour deux fois, inlassablement : une baignoire d’horloger. Des îles y surnagent qui tiennent dans le creux de ma main. Ce ne sont pas les chapelets innombrables de l’Indonésie, ni les îlots bagués de sable blanc du Pacifique. Ce sont des langues de terre, de gros sable et de goémon posées sur l’eau, coiffées d’un bouquet de pins et, par endroits, d’un dolmen qui leur fait comme une grande dent solitaire dressée vers le ciel changeant. Elles sont modestes et saisissables. Elles sont belles comme une belle fille qui ne s’est pas maquillée.

Au-dessus d’elles s’étend le ciel le moins ennuyeux du monde. Il change tout le temps. Rarement tout à fait bleu ou tout à fait gris, il construit au gré des vents des mosaïques de nuages et de soleil frais, variant à l’infini les éclairages et les ambiances. La mer lui répond. Elle s’accorde aux nues comme les chaussures d’un sapeur congolais à son chapeau. Grise un instant, vert toxique le suivant, bleu sombre sous la pluie, rouge dans l’éclat du couchant.

La beauté du Golfe est d’une nature différente de celle, titanesque et effrayante, des orages équatoriaux.  C’est une beauté qui se laisse appréhender avec le temps, sans tapage ni ostentation, et qui ne donne sa pleine mesure que si l’on prend le soin d’y prêter attention. Elle est si subtile qu’elle fait le désespoir des peintres.

Dans ce pays de sable, de genêts et d’eau salée on se promène avec bonheur. On navigue avec prudence, à cause des bancs de sable et des courants puissants. On ne se baigne qu’avec un certain courage, même au mois d’août. Et on ne repart qu’à reculons.

Justement, demain, je rentre. Je me jette à nouveau dans la gueule brûlante de la grande ogresse qu’est Kinshasa. Si elle essaye de me croquer, elle aura du sable entre les dents.

2 commentaires:

  1. Je suis allée voir sans y croire, femme de peu de foi ...
    Au rendez vous le même sous d'autres cieux. Merci

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  2. sauter a l'elastique, pour apprecier l'insondable contact de la terre ferme
    hehe

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