mardi 22 mars 2011

49 - Les Pas-Tout-A-Fait 20 km de Kinshasa
















Lorsque nous arrivons sur le boulevard Triomphal, dans la lumière encore rasante de ce dimanche matin, la ligne de départ n’est pas encore tracée. Il y a là quelques congolais, quatre militaires de la Monique* et un camion promotionnel Skol. La masse énorme du Palais du Peuple surveille tout ça. Il fait déjà un peu chaud.

Les participants arrivent peu à peu. Ils ont tous le dossard officiel, un petit marcel très seyant  dont la taille unique a obligé quelques-uns à jouer des ciseaux : un papa qui n’arrivait pas à y rentrer son gros ventre s’en est fait un poncho. Sous le dossard, le principe est celui qui semble régir une bonne partie de la vie kinoise : ne rien s’interdire. Un coureur est venu avec des chaussettes Jean-Paul-Gaultier  jaune poussin - sûrement authentiques - qui lui remontent jusqu’aux genoux. Un autre a décidé de courir en Burlingtons. Elles sont trouées de partout. Peut-être parce qu’il n’a pas mis de chaussures. Un autre encore a opté pour une panoplie boxer-short / claquettes à l’élégance minimaliste.

Il faut les voir, ces coureurs, se trémousser sur le trottoir dans une impatience presque palpable. Il y a dans l’air une forme de pression physique, une urgence à se dépenser, à courir, à en découdre. La plupart des participants sont là pour le prix, alléchant : 2500 dollars. Il est certainement hors de portée de la plupart, venue sans préparation, mais les kinois n’ont pas besoin d’entraînement pour rêver.

L’excitation monte progressivement. Les plus fringants sautillent guillerettement sur place comme des cabris sous amphétamines, sprintent le long du boulevard, battent l’air de leurs poings avec des gestes de boxeur. Quand le camion Skol branche enfin ses enceintes, tout le monde part danser pour passer le temps.



Un peu avant 9h, on appelle les coureurs sur la ligne. Le temps de rassembler tout le monde et de siffler un faux départ, il s’écoule encore un petit quart d’heure, mais le moment arrive où enfin les coureurs sont lâchés. On dirait le coup d’envoi d’un 100 mètres. Ils s’élancent comme des fusées, las d’attendre, pressés d’arriver, oublieux de la distance et du soleil qui brûle déjà les corps : Kinshasa ou l’impatience.

Beaucoup d’entre eux semblent avoir étudié leur style devant leur miroir. Ils courent à grands foulées conquérantes, balançant fièrement les bras dans le mariage gracieux de Carl Lewis et d’une danseuse étoile. Ça fait très joli mais c’est complètement inefficace, ce qui les oblige à adopter la tactique du Tout-ou-Rien : courir comme le vent, se fatiguer après deux cent mètres ; marcher un peu, l’air épuisé et la respiration sifflante, puis recommencer. Je les admire, parce que tenir ce rythme exige le moral d’un lion. Je les déteste, parce qu’il faut doubler chacun d’entre eux quatre ou cinq fois.

Pas de doute : c’est une course urbaine. Poussière, bitume brûlant, gaz d’échappement. Slalom entre les voitures et les gens. Enfants hilares sur le bord de la route. Pompiste d’une station service qui arrose les coureurs reconnaissants. Odeurs de marché, de fumée, d’égouts, de nourriture. Panneaux kilométriques aléatoires. Hurlements des pasteurs dans les églises du réveil ouvertes à tous les vents. Exclamations des badauds : « Mundele alembi ! », « Courage le blanc ! », « Allez Roger ! » ; « Donne-moi mille dollars ! ». Kinshasa défile autour de moi, me souffle à la figure son haleine et ses cris. Puis, comme toujours, perd progressivement de sa substance à mesure que ma respiration s’accélère. Je deviens peu à peu liquide et transparent. Derniers kilomètres, montée en régime, volonté qui se ramasse pour le dernier coup de collier...

…et brusquement, sur le bord d’une place sablonneuse aux allures de terrain vague, un type à casquette qui m’interpelle. Qu’est-ce qu’il me veut ?  Il me dit de m’arrêter. Il me tend un petit papier portant un numéro. Je ne comprends pas. La course est finie : on a raccourci le parcours de 3 kilomètres.

Je suis un peu frustré, un peu surpris.

Je ne le devrais pas. Après tout, c’est l’espace-temps kinois.

*MONUC, mais les congolais ont du mal à distinguer à l’oral les u des i. Ce qui explique les Hugor et les Gertride qui courent les rues, les hubuscus à vendre au jardin botanique, ou encore le supermarché mûnû-prix du Boulevard

8 commentaires:

  1. Oui mais bon t'a gagné ou pas ????

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  2. 327ème sur grosso-modo-un-bon-millier de participants, en à-peu-près-une-heure-et-demie.

    J'ai presque-gagné, quoi.

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  3. Il n'y a Kin que ce genre d'histoires se passe! 2500 dollars!!! qui a remporte le prix?

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  4. Anonyme : tu tombes mal, j'ai mangé un bébé poney ce matin.

    poemul : la remise des prix a été un peu confuse... c'est un africain, j'en suis sûr, mais je ne sais pas s'il était congolais.

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  5. idée de réclame :

    oui, tout est bon dans le cochon,
    mais dans le choual,
    tout est un régal !

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  6. Bébé poney,
    Il a la langue toute sucrééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééééée !

    Poney, poney, poney,
    In the rich man's world.

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