vendredi 19 mars 2010

8 - Musique (2ère partie)


 


Malgré tous mes efforts, je n’ai pu mettre la main ni sur Johnny Clegg, qui zouloute à Soweto en attendant la Coupe du Monde, ni sur Didier Barbelivien, qui glougloute au Puy du Fou en attendant la mort (Si vous ne comprenez pas cette introduction, relisez les commentaires du dernier article).

Il n’y aura donc pas de dissection cette semaine. Mais la musique continue. 

Kinshasa vit au rythme des concerts de ses héros. JB Mpiana, Koffi, Ferré et consorts se produisent chaque semaine dans leur fief - salle de concert, club ou bistro à terrasse - accompagnés le plus souvent d’un caravansérail entier de musiciens, de choristes et de danseuses.

Loin d’être un autel inaccessible où se produisent des demi-dieux, la scène ici est très proche de la salle. On voit fréquemment un type prendre la parole dans le public pour répondre aux allocutions que fait le chanteur entre les morceaux. Lorsqu’il est drôle, la foule se marre ; elle le fait taire lorsqu’il est importun. Mais l’interaction va encore bien plus loin : au concert de Tshala Muana, les gens pouvaient monter sur scène pour démontrer leurs talents de danseur de Mutwashi, sous les acclamations des autres spectateurs. (le Mutwashi est la danse traditionnelle du Kasaï. C’est, disent les congolais, une « danse de hanches ». Ils n’exagèrent pas. Pieds écartés, jambes très fléchies, mains tendues en avant pour l’équilibre, elle consiste essentiellement en des roulements suggestifs du bassin à faire frémir une statue d’ecclésiastique. C’est très technique. Les débutants se fracturent le coccyx. Les meilleurs, eux,  ont l’air montés sur roulements à billes).

Enfin, lorsqu’il est particulièrement satisfait d’un musicien, tout un chacun peut se fendre d’une petite obole pour dire merci. Il monte alors sur scène avec une poignée de billets en main, se met à côté de son élu, et lui colle une à une les coupures sur le front. Je n’ai toujours pas compris comment les types peuvent continuer à chanter alors qu’un inconnu leur tamponne la tête avec des billets de 500 balles. C’est un métier difficile.

D’habitude, le groupe commence seul. Pour chauffer la salle avant que le gros du public n’arrive, ils jouent pendant une heure des morceaux d’introduction sur lesquels un poulain du chanteur prend le premier rôle, saisissant l’occasion de se montrer un peu en attendant la diva. Au fur et à mesure que les spectateurs arrivent et que le groupe se lance, la pression monte dans la salle. On le sent. Le tempo s’accélère, les morceaux rallongent ; les fronts transpirent à grosses gouttes qui font mille petits soleils sous les projecteurs. Les guitares circulent en volutes rapides, soutenues par une section rythmique à l’efficacité de Panzer. Les danseuses passent sur scène régulièrement en costumes moulants, pour exécuter des chorégraphies toutes en épaules et en fesses rebondies qui allument les yeux des hommes et scandalisent leurs belles.

Lorsque la tête d’affiche entre enfin, c’est l’éruption dans la salle. Sûre d’elle et de son charisme, rayonnante dans son costume de scène extravagant, la diva accueille l’hommage avec un flegme souriant. Souvent, elle chante quelques-uns de ses grands succès avant de se retirer de nouveau, abandonnant pour quelque temps le champ de bataille à ses favoris. La plupart des grandes stars d’ici sont nées comme ça : on dit que « JB vient de chez Koffi » ou que « Koffi vient de chez Papa Wemba ». On peut construire comme cela des arbres généalogiques à la troisième génération. C’est très compliqué.

Tout cela dure. Les musiciens se déshydratent sur scène(©) pendant plus de quatre heures. Spectateur non averti, tu finis par te retrouver dans une sorte de transe musicale, pulsatile, où la notion du temps disparaît. La musique te traverse, mystérieusement liée aux gestes des musiciens et aux corps des danseurs.

Pris dans ce débordement scandaleux de rythme, de mouvement, d’énergie et de sueur, tu ne sais plus très bien de quelle couleur tu es.

Jusqu'à ce que tu essayes de danser.

5 commentaires:

  1. Wouhou !
    Au boulaxe le wythme sort trop fort de mes écouteurs, même avec le son au mini, à l'aéwopowt de Toulouse les gens sont en costume et en oreillette, et à la zon l'owdi a wendu l'âme.
    Mon cerveau danse de joie dans les texte, mais ça manque de son...
    Merci pour tout ce bruit, c'est bonheuw mon fwèwe.

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  2. Déshydratez, déshydratez...
    ça me rappelle une récente représentation où pris d'euphorie j'ai littéralement violé la bouche d'un papi en y introduisant ma langue. Celui-ci un peu énervé a esquissé un mouvement pour me casser la figure puis a préféré me dire qu'il n'était pas une gonzesse...
    La représentation s'est finalement bien terminée sous les rires ininterrompus de son épouse.
    Enfin, j'en ai rêvé pendant trois jours...

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  3. Marie : Fais-toi offrir un casque !

    Mathieu : Si tu continues à faire des spectacles à caractère gérontophile ET homosexuel tu vas finir à Beaubourg, fais gaffe.

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  4. Aujourd'hui dans le RER, j'étais assis en face d'un afwicain en costard, la quarantaine et des écouteurs dans les oreilles. Le vague son qui filtrait m'a fait penser à celui que tu postes (le type était peut-etre congolais...). En tout cas, j'ai lu dans ses yeux qu'il avait envie de danser, et je crois qu'il a lu dans les miens que je voulais lui piquer un écouteur.

    sinon la musique elle est bien.

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  5. Trop BIEN! Mais question redoutable : ca se plâtre comment, un coccyx fracturé??

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