vendredi 30 juillet 2010

26 - Justice

 
















A Kinshasa, les agents de la circulation sont, avec les moustiques, les chauffeurs de taxi-bus et l'eau du robinet, tes pires ennemis. Lorsque la fin du mois approche, on les voit apparaître par petits troupeaux à chaque carrefour important de la ville, guettant une victime innocente à racketter. L’air condescendant, l’œil petit et fourbe, la bouche gourmande, ils sont à l’affût du moindre comportement suspect (rappelons que pour un roulage, changer de file est un comportement suspect). Ce matin encore, comme souvent, j’ai vu sur le boulevard une de leurs proies. Entourée de ces bandits, dont certains s’étaient assis dans la voiture pour négocier à l’aise, on aurait dit une vache blessée cernée par les chacals. 

Il y a cependant, sur l’avenue de la Justice – ça ne s’invente pas – un roulage honnête. Il est toujours au même croisement. Bien en chair dans son uniforme bleu poussiéreux, un sourire bonhomme fixé sous son béret réglementaire, il laisse passer d’un geste auguste de la main les Mundele et les taxi-bus, les congolais et les 4x4 de l’ONU. Comme il est pratiquement le seul agent de circulation de la ville qui ne soit pas corrompu jusqu’à l’os, c’est une petite célébrité. Tout le monde sait qu’il existe. 

Il paraît qu’un jour, un blanc est venu le voir sur son carrefour, lui a dit qu’il rentrait dans son pays, l'a remercié pour son honnêteté, et lui a donné sa voiture. Depuis, il roule en Jeep. Et tout le quartier lui fait à Noël de petits cadeaux. Bon gars honnête au milieu des vautours, c’est le flic le plus populaire de Kinshasa. 

Je vous l’accorde, on dirait une histoire édifiante du XIXème siècle. Le juste récompensé, la vertu triomphante ; tout ça pue la Comtesse de Ségur et le bon sentiment. Oui. Mais de savoir qu’il y a des choses comme ça qui arrivent, vraies vraiment, au fond, je trouve ça rassurant. Non ?

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