vendredi 22 octobre 2010

32 - Au zoo




Êtes-vous déjà allés voir Staff Benda Bilili ?

Si non, allez-y, le film vaut son pesant de béquilles. Si oui, alors vous avez dû y apercevoir le zoo de Kinshasa. Curieux de voir ce que cela donnait en vrai, nous l’avons visité l’autre jour.

Depuis l’entrée du zoo on aperçoit, par-delà la grille rouillée de l’entrée, un grand terrain vague et vert, peuplé d’arbres, de familles congolaises et de shégués. Derrière la grille, deux types assis sur un tabouret de bois tiennent lieu de guichet d’entrée. Puis l’on s’avance sur l’étendue herbeuse et l’on aperçoit les cages. Elles ont la forme de petites maisons grillagées avec un toit pointu. Certaines sont cabossées, d’autres sont vides. Toutes sont noirâtres comme si on les avait passées au goudron.

Dans ces thurnes dégueulasses survivent des animaux.

Ce sont les singes qu’on voit d’abord. Hirsutes, maigres et maladifs, ils perdent leur pelage par plaques entières. Ils font penser à ces peluches que l’on retrouve dans les greniers, au fond d’un carton plein de vieilleries, dont les coutures se défont et auxquelles il manque un œil. Ils déambulent nerveusement dans leur cage trop petite, à pas silencieux et rapides, interminablement.

Non loin de là se trouve la mare au crocodile. Le brave reptile, vieux et aveugle, roupille dans l’eau en attendant on ne sait quoi. On se demande à quoi il pense. Pour cinq cent francs un gardien rentre dans l’enclos et le cogne à coups de balai pour lui faire ouvrir la gueule. Telle est la supériorité de l’homme sur la bête.

Puis il y a les léopards, qui sont très importants car ils sont l’animal-totem de la RDC, prêtent leur nom à l’équipe nationale de foot, et ont longtemps surmonté le crâne du roi Mobutu sous la forme d’une petite toque. Mais allongés sans mouvement dans leur cage souillée, ces léopards-là sont à leurs congénères sauvages ce que Kinshasa est à l’idée du Congo : un alter ego gris et déglingué, sale, pelé, imprévisible. Avec des yeux verts intenses et fascinants.

Un peu plus loin sur la droite, un marabout dans un enclos. L’immense oiseau a une aile cassée. Son long bec conique lui donne l’allure cauchemardesque des médecins du Moyen Âge. En face, dans un petit enclos fermé, un couple de civettes a deux trous rouges à la place des oreilles.

Le plus singulier dans cette cour des miracles animalière, c’est l’ambiance bon enfant de dimanche-après-midi-en-famille qui y règne. Les familles congolaises déambulent dans le zoo, entourées de petits groupes d’enfants remuants qui embêtent les animaux en passant des bâtons à travers les barreaux de leurs cages. Le marchand de glaces pousse au milieu d'eux sa carriole rouge surmontée d'un petit klaxon qui fait "pouêt". Les gens rient, s’amusent ; des amoureux assis dans l’herbe rase se racontent leurs secrets. Ce lieu qui pourrait être un décor de film d’horreur, colonisé malgré tout par une vie souriante, bruyante et colorée, vous prend des airs de Bois de Boulogne au printemps. L’ambiance n’est pareille à aucune autre. C'est comme un pique-nique joyeux dans un cimetière abandonné.

On finit par les chimpanzés. Alors même que je vous écris, un sourire me vient en les évoquant, car l’animal a le même charisme rigolo que son cousin bonobo. Mais cette aura ne suffit pas à dissiper le malaise que l’on éprouve à voir ces sympathiques bestioles tendre leurs mains gantées de cuir à travers les barreaux de leur cage, pour mendier un peu de nourriture. L'un d'entre eux fait des acrobaties pour s’attirer les bonnes grâces du public nombreux. Il a une routine bien rodée. Galipette, tendre la main. Applaudir, tendre la main. Saut périlleux, tendre la main. L’assistance jette des restes de mangue à l’animal qui les attrape au vol.

Abîmé dans la contemplation de ce tragi-comique spectacle, je ne vois pas tout de suite le shégué à côté de moi.
 
Muet, les yeux levés vers moi, il tend la main.

Le chimpanzé bouffe ses mangues. 

L'homme sur la bête, vous disiez ?

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