J’ai commencé à m’entraîner pour le marathon du Kilimandjaro. D’après le programme de travail sans pitié que j’ai récupéré sur Internet, je dois me lever presque chaque matin pour galoper.
Sept heures. Il fait déjà jour depuis longtemps mais l’air garde encore un peu de fraîcheur nocturne. Dans la rue qui monte en pente raide vers le fleuve, les marcheurs sur le trottoir défoncé s’écartent pour laisser passer le mundele qui court en soufflant fort, son chronomètre dans la main. Ils se demandent probablement pourquoi il s’inflige tout ça.
Je salue en passant les trois mamans assises sur le trottoir, toujours au même endroit. Elles ont devant elles des baguettes de pain et fabriquent des sandouiches en papotant. Je me demande qui leur en achète : cette partie du quartier est presque toujours déserte. Kinshasa est pleine de ces petits mystères.
Et puis j’arrive au fleuve. Sur la petite route qui court au bord de l’eau, il n’y a pas non plus grand-monde, mais je croise à chaque fois la même jeune fille congolaise. L’air bien nourri, bien habillée, elle promène deux petits chiens ébouriffés qu’elle abreuve sans discontinuer d’ordres contradictoires, criés fort avec une nuance d’hystérie. Viens ! Va chercher ! Reste ici ! Attention la voiture ! Assis ! Fais le beau ! Viens voir maman ! Pousse-toi !
Si j’étais un de ces deux cabots il y a longtemps que je l’aurais mordue.
Plus loin au long de cette petite route, entre le macadam et l’eau, il y a des tentes de militaires. Je ne suis pas très sûr de ce qu’ils font là. En tout cas, à cette heure là, ils se réveillent. Leur sac de couchage est encore dans l’herbe. La kalachnikov de travers autour du cou, ils vont pisser dans les hautes herbes en rotant puissamment. D’autres assis dans une chaise pliante discutent le bout de gras avec un civil de passage. Ils sont diablement moins intimidants que ceux du soir, qui sentent la bière à plusieurs mètres et parlent haut dans l’obscurité.
A ce stade, je suis très rouge mais bien réveillé. Sur la fin de mon premier tour, je croise encore une libanaise aux cheveux voilés, venue marcher ici pour commencer sa journée. Elle est toute pimpante dans son jogging rose vif.
Et puis je repars pour une nouvelle boucle. Les mamans sur le trottoir, le dragon et ses deux chiens, les militaires et la libanaise rose repassent l’un après l’autre. Le temps que je fasse mon tour ils se sont déplacés légèrement et ont perdu un peu en substance ; car à la longue, la course à pied transforme ton environnement en décor fluide et les passants en figurants sans épaisseur. Je suis au Congo et loin du Congo, presque complètement dilué dans l’air qui chauffe doucement ; tout passe autour de moi et comme à travers moi. Seuls restent accrochés dans ma mémoire les constantes de ce petit voyage circulaire, refrain familier de mes courses matinales, libanaise, dragon, clébards, mamans, sandouiches,
et militaires.
Sept heures. Il fait déjà jour depuis longtemps mais l’air garde encore un peu de fraîcheur nocturne. Dans la rue qui monte en pente raide vers le fleuve, les marcheurs sur le trottoir défoncé s’écartent pour laisser passer le mundele qui court en soufflant fort, son chronomètre dans la main. Ils se demandent probablement pourquoi il s’inflige tout ça.
Je salue en passant les trois mamans assises sur le trottoir, toujours au même endroit. Elles ont devant elles des baguettes de pain et fabriquent des sandouiches en papotant. Je me demande qui leur en achète : cette partie du quartier est presque toujours déserte. Kinshasa est pleine de ces petits mystères.
Et puis j’arrive au fleuve. Sur la petite route qui court au bord de l’eau, il n’y a pas non plus grand-monde, mais je croise à chaque fois la même jeune fille congolaise. L’air bien nourri, bien habillée, elle promène deux petits chiens ébouriffés qu’elle abreuve sans discontinuer d’ordres contradictoires, criés fort avec une nuance d’hystérie. Viens ! Va chercher ! Reste ici ! Attention la voiture ! Assis ! Fais le beau ! Viens voir maman ! Pousse-toi !
Si j’étais un de ces deux cabots il y a longtemps que je l’aurais mordue.
Plus loin au long de cette petite route, entre le macadam et l’eau, il y a des tentes de militaires. Je ne suis pas très sûr de ce qu’ils font là. En tout cas, à cette heure là, ils se réveillent. Leur sac de couchage est encore dans l’herbe. La kalachnikov de travers autour du cou, ils vont pisser dans les hautes herbes en rotant puissamment. D’autres assis dans une chaise pliante discutent le bout de gras avec un civil de passage. Ils sont diablement moins intimidants que ceux du soir, qui sentent la bière à plusieurs mètres et parlent haut dans l’obscurité.
A ce stade, je suis très rouge mais bien réveillé. Sur la fin de mon premier tour, je croise encore une libanaise aux cheveux voilés, venue marcher ici pour commencer sa journée. Elle est toute pimpante dans son jogging rose vif.
Et puis je repars pour une nouvelle boucle. Les mamans sur le trottoir, le dragon et ses deux chiens, les militaires et la libanaise rose repassent l’un après l’autre. Le temps que je fasse mon tour ils se sont déplacés légèrement et ont perdu un peu en substance ; car à la longue, la course à pied transforme ton environnement en décor fluide et les passants en figurants sans épaisseur. Je suis au Congo et loin du Congo, presque complètement dilué dans l’air qui chauffe doucement ; tout passe autour de moi et comme à travers moi. Seuls restent accrochés dans ma mémoire les constantes de ce petit voyage circulaire, refrain familier de mes courses matinales, libanaise, dragon, clébards, mamans, sandouiches,
et militaires.
hum hum, ouch ouch, hum hum, ouch ouch,...
RépondreSupprimerc'est comme si j'avais fait "un tour du lac"
chui creueuvée.
Biz.
J - 17 !!!
mais pourquoi s'inflige-t-il tout ca?
RépondreSupprimerDe Paris, j'essaye de me représenter la course.
RépondreSupprimerJe prends une rue, je la couvre de latérite, j'y plante quelques trous, quelques baraques en parpaings comme celle du canadien ; je mets les mamans au bord, qui fourrent des baguettes (ça prend un moment avant de réussir à faire disparaître l'enseigne Döner Kebab derrière elles) ; je mets du soleil, ou disons, de la lumière, même à 7 heures du mat' ; je mets un peu de chaleur - en fait, je cours bien couvert comme d'hab' et puis petit à petit je fais disparaître le superflu.
Je me rappelle aussi qu'il va falloir que je fasse sacrément grossir la Seine, alors j'en mets des tonnes : j'engloutis tous les bateaux-mouches et je la fais enfler par dessus les quais, je lui mets moins de gris et plus de marron, de vert... je peux pas m'empêcher de mettre aussi du bleu foncé.
Je suis plutôt content du résultat, et puis, au moment de me lancer et de MONTER LA RUE EN PENTE RAIDE VERS LE FLEUVE, j'en cherche une qui ferait l'affaire, je parcours fébrilement rives droite et gauche à la recherche de la bonne pente... et puis ça y est ! je me mets dans le souterrain des halles, direction St Germain des Prés, et je me fais la montée vers le Pont Neuf à fond !
Monter vers le fleuve Congo, en plein hiver à Paris : ça, c'est fait.
Brigitte : Heureusement que je fais pas de bruits pareils en courant
RépondreSupprimerBonobette : Parce qu'au fond il aime bien ça
Pierre : Je n'en attendais pas moins. Prochaine étape, la transformation de la FNAC des Halles le 22 décembre en marché Lufungula à 10h du mat
Re-Pierre : Le jour où tu changeras la chikwange en sauciflard je t'appellerai Jésus.
RépondreSupprimerFais-moi un article sur le chikwange, eh patate, et je t'en fais... un jésus, tiens !
RépondreSupprimerÇa donnerait presque envie, même.
RépondreSupprimerJe crois que je ne me souviens plus du 4ème buisson de la promenade plantée, et que j'ai oublié le nom du poney du lac Daumesnil.
Faudra que je me rafraîchisse la mémoire, tiens.